Débarqué en Dominique pour un peu moins d’une quinzaine de jours, je me suis donné deux objectifs :

  • traverser une partie de l’île à pied, et passer du temps en plein cœur de la jungle ;
  • rencontrer les Kalinagos, descendants des premiers habitants des îles Antillaises.

 

Pour ce qui est de passer un peu de temps dans la jungle ; rien de plus simple, elle est omniprésente et contient bon nombre de fruits comestibles dont je me délecte le plus souvent possible. Pour le reste, je me dois de vous présenter les quelques personnages qui ont permis mon immersion dans le territoire Kalinagos. En premier lieu, Jeffrey, dit « Papillon » ; quadragénaire aux multiples talents, (comédien, musicien, designer, enseignant en permaculture, …). « Papillon » a vécu tantôt en France, en Afrique, aux Etats-Unis, et a déjà monté bon nombre de projets communautaires. Il y a cinq ans, il décide de se rapprocher d’une partie de sa famille originaire de Martinique. Avec sa femme « Fatou » et ses deux enfants, il visite la Dominique et y propose quelques cours de « permaculture ». C’est à cette occasion qu’ils font la rencontre de « Sian », une jeune anglaise qui s’y est installée avec pour but de construire un éco-village. L’idée le séduit, et toute la famille se joint au projet. Situé sur les hauteurs de Castle Bruce, le terrain de « Sian » se trouve à la frontière du territoire Kalinago. La petite maison qui surplombe le terrain, c’est celle de « Sian ». Deux cabanes toutes équipées sont destinées à accueillir un tourisme nouveau, désireux de retrouver un lien avec la nature. « Papillon » a pour projet de construire sa maison en contrebas du terrain. Pour être le plus en accord possible avec son environnement, il décide de construire un « Molinae », à la manière des Kalinagos. De cet intérêt pour les constructions traditionnelles, et pour la culture Kallinago en général, naîtra une amitié entre Papillon et quelques personnages Kalinagos. Parmi eux, Mabrika et Miranda. Mabrika est membre du conseil Kalinagos et est l’un des plus impliqués dans la préservation de la culture de son peuple. Mabrika et Miranda me font le plaisir de m’accorder un peu de leur temps pour répondre à quelques questions.

Entretien avec Mabrika et Miranda

Miranda et Mabrika
Nous nous étions donné rendez-vous au domicile du couple, qui se trouve être également le lieu où sont répétés les spectacles de danses et de chants traditionnels. Je suis accompagné de Fatou, la femme de Papillon et amie du couple, qui me traduira les phrases que mon anglais encore approximatif ne me permet pas de comprendre.

 

Nous sommes d’abord accueillis par Miranda ; un petit bout de femme rayonnante d’énergie et de bonté. Nous lisons sans difficulté dans ses yeux mi-clos une force de caractère sans pareil. Nous parlons un petit peu. Fatou et Miranda échangent sur les prochains rendez-vous culturels. Puis Mabrika nous rejoint. Les cheveux liés en une courte natte, couverts d’une casquette semblable à celle du « Che », dont une représentation trône d’ailleurs au-dessus nos chaises, il incarne la « force tranquille ». Le regard à la fois doux et assombri par une impressionnante clairvoyance de tout ce qui l’entoure, il vient s’asseoir à ma droite.

 

Ma première question, des plus générales :
que pouvez-vous me dire sur la culture Kalinago d’aujourd’hui ?

 

Mabrika « La culture Kalinago aujourd’hui doit faire face à un lavage de cerveaux. »

 

Parmi les tout premiers mots de sa réponse, le terme « wash-brain » : lavage de cerveau. Ce terme reviendra plusieurs fois dans l’interview. Mabrika m’explique alors qu’en tant que responsable culturel au sein du parlement Kalinago, il constate ce lavage de cerveau quotidiennement et c’est là son plus grand ennemi. La culture Kalinago sombre petit à petit dans un folklore, certes prisé des touristes mais qui s’éloigne de plus en plus du quotidien de son peuple. Il se bat avant tout contre l’influence extérieure ; dans chaque maison, dans chaque commerce, des télévisions diffusent les films américains et des publicités aux codes occidentaux, pleines de technologie et consumérisme.

 

Mabrika « Je me sens oppressé par le système qui m’entoure !  Ce système vise à tuer notre culture. Il n’admet pas la « libre pensée ». il cherche avant tout à nous assimiler et nous uniformiser […]. Le système qui nous entoure cherche à nous rendre le plus dépendant possible de lui. Il nous empêche de nous auto-suffire. »

 

Un exemple parmi tant d’autre : l’accès à l’eau. L’île de Waiti’kubuli (la Dominique), regorge de ruisseaux, de rivières, de cascades… L’eau est omniprésente sur l’île et les Kalinagos ont toujours vécu avec cette profusion. Un jour le gouvernement leur a proposé d’emmener cette eau jusqu’à leurs maisons et cette même eau de cette même rivière leur est maintenant facturée à chaque fin de mois.

 

Mabrika observe un instant mon front cabossé par une récente chute, et se souvient d’une anecdote :

 

« Quant j’étais petit, il y avait toujours sur une étagère un pot en verre rempli d’eau. Nous y mettions quelques sangsues, et quant nous nous blessions, nous posions celles-ci sur nos plaies, qu’elles s’empressaient de désinfecter avec une efficacité redoutable. La médecine est une part importante de notre culture. Nous avons une grande connaissance des plantes et de leurs vertus. Lorsque j’étais malade, mon père partait dans le bush, et revenait avec plusieurs plantes qu’il faisait bouillir. Il me disait de ne pas sentir, de ne pas regarder, mais de boire d’un trait. » (Nous sourions de cette anecdote en nous rappelant nous aussi les potions de grand-mère ingurgitées petit, dont l’efficacité n’avait d’égale que le désagrément du goût.) « Maintenant, même si beaucoup utilisent encore des plantes pour traiter quelques maux, nous allons à la pharmacie acheter des boîtes entières de paracétamol et d’antibiotiques qui nous détruisent plus qu’ils ne nous soignent. »

 

Miranda intervient alors ;

 

« On constate aujourd’hui des maux nouveaux. Le cancer, le stress, l’alcoolisme sont autant de chose que nous ne connaissions pas avant. Les téléphones portable, la wifi, l’antenne relais située sur les hauteurs de Saint-Cyr participent à l’essor de ces nouvelles maladies.
Antenne relais, près du jardin de Koil

L’alcoolisme est un problème important chez les Kalinagos. Le bouleversement social provoqué par le modèle occidental, le manque d’emploi et d’occupation poussent de nombreuses personnes à boire.

 

Quel rapport la jeunesse entretient-elle avec sa culture ?

 

Mabrika « L’éducation éloigne très tôt les jeunes des réalités de notre peuple. Dès l’école élémentaire, les enfants portent l’uniforme. Ils doivent apprendre par cœur des choses qui n’ont aucun sens ici, pour eux. Ils apprennent sans comprendre. »

 

Les quelques écoles élémentaires que le gouvernement Dominicais a installé sur le territoire Kalinago dispensent une éducation rigoriste et désuète. Vers cinq ans, les enfants apprennent à lire sans comprendre ce qu’il lisent. On y enseigne la culture occidentale de manière arbitraire, et aucun lien n’est fait avec les réalités de la vie Kalinago.

Mabrika « L’enseignement supérieur est pire encore pour notre culture. Le chef du Parlement kalinago se réjouit que beaucoup de nos enfants partent à l’étranger pour apprendre dans les grandes écoles, et que la plupart en reviennent diplômés. Ce qui pour lui est une fierté, m’attriste moi. Ces jeunes, soit restent vivre et travailler à l’étranger, et dans ce cas rompent totalement avec nos traditions ; soit reviennent au pays pleins d’une certaine fierté d’être diplômés, mais ne trouvent aucun emploi ici en lien avec l’enseignement occidental qu’ils ont reçu. Dans tous les cas, cela ne fait qu’accroître le déracinement de ces jeunes. Cela serait positif si enfants, ils avaient reçu des bases culturelles solides. Mais comme ce n’est pas le cas, leurs savoirs n’apportent rien à notre communauté. »

Enfants Kalinagos, en uniforme depuis leurs cours de récréation

Mabrika a dans l’idée de proposer aux écoles un livre qui enseignerait l’histoire Kalinago en plus de l’histoire Européenne que les enfants retiennent sans en comprendre le moindre sens. Ce livre apprendrait aux jeunes d’où ils viennent, qui ils sont, et l’importance de préserver leurs savoirs culturels. Mais à chaque fois qu’il proposa ce projet, quelque chose venaient le faire avorter ; problème budgétaire, manque de temps, lourdeur administrative, etc.

 

Mabrika « Mon grand père savait des choses qui ne s’apprennent pas dans les universités. Il savait lire la nature ; il observait la mer et pouvait en déduire de nombreuses choses. Il pouvait soigner, se nourrir et nourrir toute sa famille ; il était capable de construire sa maison avec pour seul apport ce que lui offrait la forêt.

 

Reste-t-il malgré tout des jeunes motivés à défendre leur identité culturelle ?

 

Mabrika « Oui il en reste quelques uns. (Il sourit) Il y en a un sur cent, et parmi ceux-là, la moitié est intéressée pour de mauvaises raisons. Ils voient leur culture comme un moyen d’enrichissement via le tourisme, plus que pour le seul intérêt de faire perdurer un savoir, un mode de vie, une richesse. »
Mabrika m’apprend que son grand-père, son arrière-grand-père, et toutes les générations précédentes étaient Chaman. Lui est également Chaman, et de ce fait est convié à célébrer les mariages, les enterrements, et les nombreuses fêtes traditionnelles.

 

Mabrika « J’ai bon espoir que mes petits-enfants célèbrent à leur tour ces festivités quand je ne serais plus là. »

 

Que pensez-vous de la religion catholique chez les Kalinagos ?

 

Mabrika « Il y a ici des lieux de culte dans tous les villages. Il y en a des dizaines ; que ce soit l’Eglise Adventiste, les Évangélistes, l’Eglise du Cinquième jour, etc. La religion et la spiritualité sont totalement différentes. Moi je crois en la spiritualité ! »

 

Est-ce que le Parlement Kalinago a une quelconque influence sur le gouvernement Dominicais ?

 

Mabrika « Il devrait en avoir mais ce n’est pas vraiment le cas. Quelques problèmes majeurs perdurent. Il y a une certaine hypocrisie chez les quelques responsables culturels du gouvernement ; ce sont les mêmes qui il y a quelques siècles nous décrivaient comme des sauvages, des cannibales, etc, et qui aujourd’hui souhaitent préserver le folklore de nos traditions. »

 

Il y a une corruption déguisée au sein des dirigeants Dominicais, propre d’ailleurs à la limite de la forme Démocratique : le premier malaise vient du fait que les Parlementaires Kalinagos, bien qu’élus, sont payés par le gouvernement Dominicais. Ainsi ils ne travaillent plus au mieux des intérêts du peuple Kalinago, mais plutôt de ceux du gouvernement.

 

Ensuite il y a le fait que lors de l’émancipation de la Dominique, l’Angleterre n’aie pas reconnu l’appartenance de l’île à ses premiers occupants, les Kalinagos. Lorsque le Commonwealth a pris fin, et que la Dominique s’est retrouvée indépendante, elle a été « rendue aux noirs », descendants des esclaves. Hors, alors que la totalité de l’île leur a été rendue en guise de réparation, le gouvernement a attribué aux Kalinagos seulement un territoire de quelques kilomètres carrés.

 

Le gouvernement a trouvé là encore un moyen de diviser les populations et de créer un clivage entre la population noire et la population Kalinago.

 

Mabrika se souvient ; « Il y a quelques mois de ça, le premier ministre de l’île est venu en personne rendre visite aux Kalinagos pendant quelques jours ; à mesure qu’il passait dans les villages, il distribuait aux gens des taules d’acier pour les maison, et de l’argent. Deux jours après son départ la plupart avait revendu les taules parce qu’ils n’en avaient pas l’utilité. Pour l’argent, il a sans doute plus servi à acheter des télévisions et de l’alcool qu’à améliorer réellement la vie des Kalinagos. »

 

Quels sont les moyens mis en œuvre pour perpétuer votre culture aujourd’hui ?

 

Miranda « D’abord il y a le village traditionnel reconstitué à Salybia. Nous y présentons notre mode de vie ancestral, nos arts tels que la vannerie, la danse, le chant, la confection de pirogues, etc. »
Femme Kalliponam réalisant des paniers en Vannerie
Sculpture Kalinago

Mabrika « Juste après l’indépendance, en 1978, Miranda a créé un groupe de danse traditionnelle. »

 

Ce groupe s’appel KARIFUNA. Il se produit lors des grands festivals tel que celui de Trinidad par exemple, où se rassemblent tous les représentants des populations Amérindiennes des Caraïbes.
Miranda, à droite, et son groupe de danse

Quelques camps de vacances sont également organisés pour les plus jeunes, avec des ateliers ludiques pour réapprendre les gestes des anciens.

 

Miranda « Ce sont autant de choses qui permettent à notre culture de survivre ! »

 

Parmi les différentes cultures dans le monde, on peut remarquer l’importance de la langue en tant que pilier culturel. Hors pour les Kalinagos, la dernière personne sur l’île à parler cette langue a disparu dans les années 1920. C’est donc un défi majeur que de se réapproprier cette langue oubliée de tous. De très nombreux mots, dont certains que l’on utilisent tous les jours, sont hérités de cette langue kalinago ; (des noms d’arbres, d’animaux, d’objets, etc). Hélas, la population ne parle plus aujourd’hui que le créole et l’anglais. Miranda a eut la chance il y a quelques années de rencontrer Ashley Fox. Cette Guyanaise connaissait sept langues Amérindiennes, dont la langue kalinago. C’est grâce à elle que Miranda a appris les quelques chansons qui accompagnent leurs représentations.

L’importance d’une langue retrouvée

Miranda et Mabrika ont en leur possession un document d’une importance considérable. Devant nous, étalé sur la table, ils nous présentent un cahier de photocopies. Celles-ci sont tirées d’un carnet du XVIIIe siècle, retrouvé il y a peu. Son auteur, un anthropologue anglais qui s’est d’abord intéressé au Suriname, puis à la préservation des cultures Amérindiennes des Caraïbes, nous livre ici un recueil très complet du vocabulaire Kalinago. Certaines pages contiennent une traduction anglaise et française, d’autres seulement française. Cette liste de vocabulaire n’est pas la seule ; il existe de nombreux documents écrits faisant l’inventaire du vocabulaire Kalinago, mais celui-ci semble être le plus complet. Mabrika et Fatou travailleront ensemble pour la traduction des feuillets Français-Kalinago en Anglais. Même si cette langue ne sera sans doute jamais plus parlée couramment, il est important de reconstituer ce trésor culturel.

Etant originaire de Bretagne, je ne peux m’empêcher de faire le parallèle avec notre propre identité culturelle. Il y a moins d’un siècle, dans les écoles bretonnes les enfants se faisaient taper sur les doigts quand ils parlaient leur langue. Le Français était de mise, dans le but de créer une uniformisation culturelle. Mes grands-parents ont connu cette époque et n’ont pas enseigné le breton à mes parents. Aujourd’hui, des écoles se sont ouvertes où les enfants réapprennent le breton. Mes neveux en font partie. Comme quoi rien n’est perdu !

Rappel historique : les Kalinagos

Escalier “tête de chien” ; site inspirant l’une des légendes fondatrices de la cultures Kalinago

Originaires du nord du Venezuela, les Kalinagos, Caraïbes ou Karibs sont des populations Amérindiennes ayant migré vers les îles des Caraïbes aux alentours du IXe siècle. Leurs origines sur le continent remontent vraisemblablement aux environs de 12 à 15 000 ans avant notre ère, mais c’est vers 7 000 ans avant J-C que ces peuples de chasseurs-cueilleurs ont commencé à migrer vers le nord par l’arc Antillais. Les premières populations à coloniser l’arc Antillais sont les Arawaks. Les Karibs à leur tour, migreront d’île en île en supplantant la population Arawak par la force ou l’acculturation. Le nom de « Caraïbe », internationalement admis, est né d’une mauvaise interprétation des premiers missionnaires ; (le mot « Caribe » signifiait semble-t-il « homme courageux ») c’est pourquoi ce peuple lui préfère l’appellation Kalinagos, plus proche de leur appellation d’origine. La Dominique, ou Wai`tukubuli, rassemble la plus importante population Kalinago actuelle ; mais plusieurs groupes Kalinagos se trouvent encore sur l’île de Saint-Vincent, de Trinidad, mais aussi sur le continent ; Venezuela, Colombie, Brésil, Guyane, Suriname…

Le Molinae : habitat traditionnel

La Dominique est, sur une échelle géologique, une île jeune. Tout l’arc Antillais est en perpétuel mouvement. Dans quelques millions d’années, la mer Caraïbe ne sera sans doute plus qu’un grand lac intérieur ; c’est pourquoi les tremblements de terre sont fréquents. Les Kalinagos se sont adaptés de manière remarquable à cet espace mouvant. La règle d’or lorsque l’on construit sur une surface relativement mouvante, c’est de laisser de la souplesse à la structure. Aujourd’hui il ne reste quasiment plus d’habitat traditionnel sur l’île. Quelques bâtiments utilisent des techniques anciennes, mais le béton et les taules d’acier finissent par remplacer les anciens matériaux. Ces nouveaux habitats en béton armé et en taules fissurent rapidement, s’effritent ; et surtout, n’ont aucun pouvoir isolant contre la chaleur Caribéenne. C’est pourquoi « Papillon », en s’installant en Dominique, a décidé de construire sa maison de manière traditionnelle. Apres mûre réflexion, il s’avère que ce type de construction est celui qui s’accorde le mieux à l’environnement.

Fumerolles dues à l’activité volcanique (Boeling Lake)

L’inspiration : le Molina et le Carbet

Les deux types de constructions Kalinagos sont le Molina et le Carbet. Le Carbet est un grand bâtiment rectangulaire, souvent placé au centre du village, qui servait pour les fêtes, les célébrations, les rituels, etc. C’est avant tout un espace collectif, destiné principalement aux hommes, et qui pouvait atteindre plusieurs dizaines de mètres de long. Le Molinae, de taille plus petite, est l’habitat familial. De forme carrée, il se construit autour d’un pilier central. C’est sur les plans de ce bâtiment que Papillon construira sa maison.

Comme ci- dessus, le Carbet de Saint Cyr
Ici un Molinae, de taille plus petite et de forme carrée ; à Saint Cyr également

Pour que ce projet soit réaliste, Papillon choisit de le réaliser en partenariat avec quelques amis Kalinagos. Coïe et Régina, personnages influents du village de Saint Cyr ; ils ont déjà monté plusieurs projets dans le but de faire perdurer leur héritage culturel ; il y a quelques années, ils ont construit de manière traditionnelle deux pirogues, avec lesquelles ils ont fait la traversée jusqu’en Guadeloupe à la seule force des rames, comme leurs ancêtres.

Peinture murale représentant la confection d’une pirogue ; les cailloux à l’intérieur servaient à évaser le centre du tronc de Gommier pour lui donner sa forme

Koïl a également construit le seul Carbet et le seul Molina qu’il reste à Saint Cyr, (photos ci dessus). Sur les terres de sa femme Régina, il cultive de manière totalement bio un jardin luxuriant. Parmi tous les fruits et légumes, il fait pousser quelques touffes de Vétiver ; une sorte de Carex dont les Kalinagos utilisent la paille pour couvrir leur habitat. Ce chaume, une fois séché et comprimé est totalement imperméable et procure une isolation thermique de qualité.

Séchage du Vetiver au dessus du jardin de Coie

Ensuite il y a Baptiste ; c’est le frère de Mabrika. Il possède un arpent de forêt dont il exploite le bois. Maniant la tronçonneuse comme personne, il débite dans le Bois rivière des planches de dimensions quasi industrielles. Ces planches servent pour les cloisons extérieures et intérieures.

Cabane au milieu de la forêt de Baptiste
Préparation du repas, quelques Dashi, des crabes de rivière… sur un brasier dit Hélicoptère ; typique des Kalinagos

Chaque planche devra être transportée hors de la forêt à dos d’homme, à travers rivières et chemins escarpés. Compte tenu du poids de ce bois dense, il est facile d’imaginer qu’une fois ces planches à destination, chaque centimètre carré doit être utilisé de manière optimale.

Planches lors du passage de la première rivière
Papillon portant une planche
Vidéo: franchissement de rivière

Pour limiter l’humidité à l’intérieur des maisons et s’adapter aux dénivellations omniprésentes, les constructions se font sur pilotis. Cela est sensé limiter également l’intrusion d’insectes tels que les thermites, fourmis, blattes… Papillon choisit de construire en contrebas du terrain de Sian, afin surtout de limiter l’exposition aux vents dominants, mais aussi pour intégrer au mieux le bâtiment à son espace.

Maison de Papillon, depuis l’intérieur

La forme du bâtiment est octogonale, et légèrement excentrée vers l’Est à la manière des constructions de Vauban, afin d’avoir une résistance au vent minimale. Bien que de dimension supérieure, le bâtiment se calque sur la structure traditionnelle du Molinae. Des troncs sont plantés en terre sur environ un mètre de profondeur, puis sont coupés de niveau. Un plancher lie l’ensemble. Puis un pilier central reçoit la charpente qui se répartit de manière octogonale sur le pourtour.

Couverture de Vetiver en cours, une bâche sert de couverture provisoire

Le bâtiment est imaginé dans le sens où chaque matériau est éphémère, et ainsi doit pouvoir être remplacé. Chaque poteau de la structure en pilotis peut être changé si besoin.

La couverture est composée de ballots de Vétiver. Ceux ci doivent être coupé avec la lune, de sorte à ce qu’ils aient un minimum de sève, et ainsi n’attirent pas de trop les insectes. Ils sont séchés au soleil plusieurs jours, puis liés en ballots serrés, et enfin ligotés sur la charpente de bas en haut et de manière circulaire.
Charpente qui reçoit le Chaume

La maison de Papillon, plus qu’un simple habitat, est symbolique. Le terrain de Sian se trouve dans les hauteurs du village de Castel Bruce, à la limite extérieure du territoire Kalinago. En construisant un bâtiment traditionnel Kalinago en dehors de leur territoire, Papillon entend étendre symboliquement celui-ci. Il a également espoir de convaincre et les Kalinagos, et les occidentaux nouvellement installés sur l’île de l’intérêt de revenir à ces constructions traditionnelles.

Miranda, moi et Mabrika

Ces deux semaines passées en territoire Kalinago ont été pour moi des moments magiques, riches en rencontres et en découvertes. Ils m’auront également conforté dans l’idée qu’il y a encore de nombreuses personnes de par le monde à se mobiliser corps et âme pour sauvegarder la richesse et la beauté du paradis dans lequel nous vivons. Je remercie ces personnes pour l’espoir qu’ils nous donnent et pour l’amitié qu’ils m’ont offert.


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