Les travaux sur Walden au Rio Dulce (Guatemala)

Et voilà, un carénage de plus en vue. Cette fois, sur les rives du Rio Dulce, au Guatemala. Nous imaginons initialement un peu moins d’un mois de travaux pour modifier la forme du safran et renouveler l’antifouling. Cette estimation de temps sera un peu contrariée par notre motivation à améliorer encore et toujours notre Walden.

Le safran

Première étape pour la priorité de ce carénage : déposer le safran. Cette opération a déjà été réalisée plusieurs fois, pour un changement de bagues, le retrait de la mousse expansive gorgée d’eau et un renforcement de la liaison mèche-fibre.

Cette fois-ci, nous souhaitons aller plus loin pour éliminer définitivement le jeu de la barre, qui réduit l’efficacité du régulateur d’allure et ne nous permet pas une mise à la cap (si on bloc la barre, le safran continue de cogner dans son jeu, et à terme pourrait se rompre).

La forme du safran sur un Carter 33 est complexe. Il est dessiné en goutte d’eau, avec une mèche mâle qui vient se ficher dans la mèche femelle du safran, par le cockpit, une fois le safran fixé à la crapaudine. Sa forme en goutte d’eau l’empêche de quitter son emplacement quand la mèche mâle est en place (si rupture éventuelle de la crapaudine) et évite également les cavitations générées par la dépression de déplacement. La solution la plus efficace pour résoudre le jeu de notre barre consiste à souder la mèche mâle à celle du safran. Mais cette option pose un problème, étant donné la configuration du safran : si l’on soude les deux éléments sans modifier la forme de goutte d’eau, on ne pourrait plus ou le mettre en place ou le retirer. Il nous faut donc modifier la forme globale du safran.

La forme initiale du safran lui conférait une grande résistance aux efforts latéraux. Notre modification nécessite donc un renforcement de sa structure interne. Nous utilisons des membrures de bois stratifiées pour multiplier les liaisons mèche et flancs stratifiés.

Le changement de forme du safran nécessite maintenant d’adapter la forme du talon. Cette étape est plus complexe. Il nous faut limiter au maximum les dépressions liées aux angles d’écoulement. En gros, nous devons adapter le prolongement de la coque à la nouvelle forme du safran ; ce qui pose un problème structurel, car l’évasement du talon en partie haute lui confère une grande résistance. L’amincir revient à le fragiliser ; fragilité que nous devons compenser par une surépaisseur de matière et l’ajout de membrures intérieures.

Nous avons constaté à la dépose que nos bagues de safran, changées deux ans auparavant, étaient déjà usées. En cause, l’alignement des mèches de safran, voilé par les efforts et les décennies. Nous avons fait réaligner la mèche du haut et installé un pivot intermédiaire (troisième point) entre la bague de sortie du tube de jaumière et la crapaudine, afin d’éviter un maximum le flambage que crée la poussée de l’eau.

La quille

Dans une baie de Jamaïque, nous avons talonné sur un bloc de béton non cartographié. Nous avons ainsi pu tester la résistance de nos boulots de quille puisque, de 4 nœuds au moteur, nous avons fait un arrêt net. Le choc s’est répercuté sur le voile de quille, à l’arrière de la partie en plomb, et a déstratifié une partie de la jonction quille-coque. Nous en avons profité pour revoir la solidarité entre la partie plomb (avant, lest) et la partie fibre (arrière, dérive). Des tiges filetées ont été enchâssées dans la partie plomb, puis stratifiées sur la partie arrière. Le fond de la partie arrière a été coulé en résine avec quinze kilos de plomb de plongée, afin d’améliorer l’équilibre du bateau et de compenser nos quelques kilos supplémentaires dans les hauts.

La structure d’un bateau c’est bien, mais l’esthétique a aussi son importance. Nous avons donc redonné un coup de jeunes à nos planchés avec une bonne couche d’époxy (idée un peu précipitée puisque, à le refaire, nous lui privilégierons un vernis bi-composant).

Durant les forts coups de vents qu’on a affrontés depuis 2016, les renforts sous cadène de l’étai largable se sont un peu détériorés. Lors du premier chantier, nous avions décidé de réaliser une baille à mouillage étanche, afin de ne plus voir rentrer d’eau de mer dans les fonts du carré. La cloison ainsi créée servait alors de renfort structurel pour accueillir la cadène de notre étai largable. Nous avons cette fois renforcé cette cloison et supprimé les côtés et la porte de la première cloison afin de gagner de l’espace.

Avant de passer le canal de Panama, une grosse révision moteur s’impose. Une nouvelle fois nous le sortons. L’idée est de le faire réviser et repeindre par un professionnel local mais, mal conseillé, nous le confions à un bricoleur qui ne parvient même pas à le réamorcer, et le malmène plus qu’autres choses. Jamais mieux servis que par soi-même, nous nous chargerons de le remettre en route et le réviser. Nous constatons que l’arbre d’hélice est voilé et non redressable. Le matériau pour le tourner est introuvable au Guatemala, nous devons le commander aux Etats-Unis. Une mauvaise surprise n’arrive jamais seule, l’emmanchement de l’hélice est très particulier et ne se trouve nulle part. Nous devons commander une nouvelle hélice pour convenir à l’arbre. Cela nous vaudra un petit séjour dans le Colorado où nous avons fait livrer les pièces chez Isabel, la sœur d’Ana.

Avec l’aide d’Allan, un ami canadien, nous réalignons le moteur. Nous changeons la bague hydrolube et quelques joints spi du moteur. Espérons qu’il ne nous lâche pas avant la fin du voyage après tout cela.

Le Carter 33, taillé pour la course croisière dans les années 70, a l’avantage d’être très ardent. Sa capacité à remonter le vent n’est plus à prouver. Mais en voyage aux longues cours, cet avantage nuit quelque peu au confort de route, puisqu’il a tendance à lofer dans les bourrasques, faisant décrocher le régulateur d’allure. Nous choisissons donc de mollir notre bateau en avançant son point de voilure. Dans un poteau de Red Cedar contrecollé à l’époxy par Max à St Barth, nous rabotons un joli bout-dehors, léger et solide. Nous achetons une plaque d’inox et un bout de tube afin de créer une embase et une cadène pour ce bout-dehors, afin qu’il soit démontable dans les ports. N’ayant pas les moyens de faire faire ces pièces sur-mesure, il ne nous reste plus qu’à nous mettre à la soudure.

À ce stade des travaux, il ne nous reste plus qu’un bon antifouling à flanquer à la coque et le tour est joué. Mais comme nous ne savons pas nous arrêter et qu’une idée nous trottait dans la tête depuis un moment déjà, nous nous attaquons aux travaux plus sérieux.

Par confort et pour pouvoir fixer la partie haute de notre mastodonte de régulateur, nous avions déjà conçu une plateforme arrière, grâce à des chutes de tubes d’inox soudés entre eux et à quelques planches d’acajou de Guadeloupe.

Bien que très satisfaisante, on trouvait dommage que cette plateforme prolonge le bateau sans être utile à la flottaison et en créant un volume perdu. L’idée est donc de conserver la surface de cette plateforme, mais en prolongeant également la coque.

Ni une, ni deux… Nous achetons un panneau de pseudo-contreplaqué mince, on le découpe en forme, on trace des lignes de gabarit, on prend des relevés dans tous les sens afin d’avoir un bon prolongement de coque et une symétrie acceptable, puis on serre le tout avec une bonne sangle.

La forme étant établie, il nous faut paraffiner l’intérieur des panneaux, y mettre une bonne couche de gelcoat épaissi à la silice, puis commencer à découper les nombreuses couches de mat et de roving qui viendront s’entrecroiser, imbibées de résine.

Un bon meulage pour scarfer les jonctions entre le rajout et la coque, assez large et profond pour pouvoir stratifier sur une bonne épaisseur, et il ne reste plus qu’à couvrir le pont, à l’aide d’un panneau en nid d’abeille dans lequel il nous suffira de découper une petite trappe.

La structure est là, il ne reste plus que la finition, soit : mastiquer – poncer – mastiquer – poncer… des jours durant.

Entre temps, nous avons rallongé le balcon existant avec des tubes que l’on avait acheté en Guadeloupe. Quelques soudures délicates, au vu de la maigre épaisseur des tubes et du fait que les baguettes les plus petites que l’on ait trouvé étaient du 2mm.

Après avoir couru dans tous le chantier pour trouver une scie cloche au bon diamètre, nous avons percé les trous pour insérer le régulateur. Puis l’idée nous est venue de doubler notre pataras, d’abord pour plus de sécurité, et ensuite pour un accès plus facile vers l’arrière. Il nous faudra fixer solidement et dans l’axe deux nouvelles cadènes.

La partie créative terminée, il nous faut nous lancer sur la partie la plus désagréable des travaux : refaire ce que nous avons déjà fait et refait maintes fois. Soit la casquette, dont le bois que nous avions acheté, du Niangon, pourrit, et les assises du cockpit, qui ont la fâcheuse tendance à s’imbiber d’eau.

Nous retirons une fois de plus les lames de bois des assises pour les poncer et les stratifier epoxy, en espérant que cela tienne un peu. La prochaine étape sera de les remplacer par un meilleur bois. Celui-ci vient de chutes récupérées d’une terrasse. Pour la casquette, nous retirons les vitres, stratifions l’ensemble en bouchant les trous à la choucroute, puis stratifions directement les vitres à l’ensemble. C’est un boulot de sagouin, cela ne tiendra pas, mais nous laisserons la réfection d’une nouvelle casquette pour un prochain chantier.

L’heure des finitions

Encore une fois, Walden ne ressemble plus vraiment à un bateau, mais plutôt à une vieille coque usée et poussiéreuse. Il est temps de passer au maquillage.

Nous avions refait la peinture et du pont et de la coque en Bretagne, avant notre départ, puis une nouvelle fois, seulement de la coque, en Guadeloupe. Mais à chaque fois au rouleau et sans primaire, et le résultat n’était pas satisfaisant. Pour le pont, nous avons découvert que les anciens propriétaires avaient mastiqué le grip original grossièrement, sans ni le poncer, ni le dégraisser (dessaler). Le résultat est que la peinture s’écaillait sur de grosses épaisseurs. Il nous faudra passer par un meulage sérieux, puis un bon ponçage. La principale difficulté est de meuler sans faire de vaguelette (le vieux gelcoat est tellement dur que la ponceuse ne fait que l’user en chauffant énormément). Après trois jours de ponçage laborieux sous quarante degrés pour Ana, nous convenons qu’au vu de tout ce qu’il nous reste à faire, il serait plus sérieux de faire appel à l’un des ouvriers guatémaltèques qui travaille sur le chantier. Le travail sera effectué en trois jours et parfaitement par Cristobal, un jeune local très sérieux et professionnel. Il nous restera tout de même tout le ponçage manuel, ainsi que celui du cockpit.

Grig et Marie, nos amis de Pory, avaient acheté un compresseur pour sabler leur coque. Il nous propose de l’emprunter. Il ne nous manque plus qu’un bon pistolet et quelques pots de bonne peinture à carrosserie. Cette fois, nous passons par deux bonnes couches de primaire avant la peinture finale.

En pleine saison des pluies, il faudra jongler avec les averses quotidiennes, qui nous obligent à masquer à chaque nouvelle passe, parfois même deux fois pour une même passe. Nous choisissons de conserver cette couleur ivoire qui donne un petit caractère classique à notre Walden.

Le masquage du cockpit sera un des plus laborieux. Il faudra en outre une bonne dose d’équilibre pour peindre cet espace sans y mettre les pieds.

Entre deux masquages, un casse-croûte s’impose.

Enfin, la mousse de la couchette cercueil, que nous avions coupée en deux pour un accès plus simple à la cuve de gasoil, et que nous avons faite recouvrir par Nery, un sellier local.

Et voilà, après plus de six mois de travaux pénible, la fin du plus important carénage de Walden. En avant vers la zone « propre », pour du petit bricolage de finition.