Après huit jours de navigation au vent portant depuis les Canaries, nous débarquons sur l’île de Do Sal, située au Nord Est de l’archipel. Île presque désertique ; seuls quelques buissons chétifs y poussent courageusement en quelques tâches timides dans ces ocres omniprésents. Le mouillage où nous jetons l’encre est venteux, mais bien protégé de la houle. Il est tout de même compliqué de se rendre à terre avec les annexes à la rame quand les rafales sont trop fortes ; et nous évitons de mettre le moteur hors bord par crainte des vols, rares encore sur cette île, mais possibles.
Rapidement nous visitons le petit village de La Palmiera qui abrite notre mouillage. Il est déjà la promesse d’une belle escale. Coloré, animé, nous lui trouvons des aires d’Afrique, aux accents créoles. Nous slalomons entre les maisons inachevées, les ruelles pavées, les villas colorées, les cabanes bariolées. Tout ici est contrasté. Les grandes et riches demeures sont adossées aux taudis de briques nues qui ne demande qu’à s’écrouler. Ce qui nous frappe rapidement dans les rues comme sur les plages ; c’est le plastique, omniprésent ici, à voler aux vents. Il est désolant de constater que tout les déchets ou presque ici, sont destinés à l’océan. Nous en ramassons quelques uns, sur notre passage, mais pour les mettre où ? Un conteneur à ciel ouvert est entreposé à la sortie de la ville ; nous les y déposons dans l’espoir que celui ci ne soit pas vidé au milieu du désert.
Achat du poisson en direct aux pêcheurs locaux
Nous poursuivons nos premières déambulations jusque trouver un petit bar où nous désaltérer ; après une semaine en mer c’et un petit plaisir que nous ne manquons pas d’apprécier. Celui sur lequel nous portons notre dévolu est tenu par deux jeunes Français, vivant également à bord de leur bateau. Arrivés il y a quelques années au Cap Vert avec pour but de transater, ils s’y sont plu et finalement installés. Le week end, ils font venir quelques groupes locaux pour animer les soirées avec les aires du pays. Nous leurs proposons de venir jouer en première partie contre quelques bières et un repas. Ils nous convie à un essai acoustique le vendredi soir. Nous y seront !
Le lendemain, Max et Kévin prennent un bus en direction de l’Est de l’île pour y surfer ; ils y découvrent une station balnéaire sans âme qui déchire le paysage de ses bâtiments immenses et gris. Les boutiques sont toutes destinées aux touristes, et contrastes avec le petit village typique où nous mouillons. Tout ici dépareillé avec les couleurs locales. Les vagues y sont belles, c’est déjà ça. Pendant ce temps, Seb, Manon et moi décidons de marcher un peu en direction du désert. Les ardeurs du soleil, atténuées sur l’eau, ici nous mordent déjà le cuir qui rougit à vu d’œil.
Chemins arides
À peine à une petite demie heure du village, nous sommes surpris de découvrir une petite oasis, abritée dans le creux d’une ravine. La végétation y est maigre encore, mais verdoyante, et quelques palmiers la surplombent. Au cœur de celle ci, une petite ferme ! Nous nous approchons timidement, et y trouvons bon accueil. Le fermier est un vieil homme grisonnant, qui vit ici depuis plus de soixante dix ans. Il cultive dans ce havre de paix quelques légumes, presque miraculeusement. Des canards, des poules, quelques oies gambadent entre nos pattes. Tout ici semble paisible et suranné. Il y a aussi une volière remplit de pigeons piégés patiemment lors des longues après midi. Pour assister ce vieil homme, il y a Juan Baptista ; un jeune Rasta aux dimensions colossales. Il est originaire de l’île de Santo Antao, la plus à l’Ouest, et est arrivé ici il y a trois ans, pour y gagner un peu d’argent afin de pouvoir construire une maison et y accueillir une femme. Il nous propose de marcher un peu entre le désert et la mer, bien agitée ce jour là.
Quelques barques posées là
Nous discutons beaucoup, malgré la barrière de la langue qui nous frustre un peu. On parle ici un mélange de Portugais et de créole ; soit un dialecte aux consonances étranges. Nous confrontons avec le jeune rasta nos opinions, et constatons que nous nous rejoignons sur de nombreux principes. Nous lui faisons part de notre goût pour le mode de vie qu’il a choisit, dans cette ferme en dehors du temps et des tourments de la vie moderne. Il est conscient de la qualité de ce mode de vie, malgré qu’il ait espoir de rejoindre la France, ou du moins l’Europe afin d’y travailler et d’y gagner suffisamment d’argent pour pouvoir revenir au pays y construire une belle maison. La France sera toujours l’Eldorado des pays du Sud. A tord ou à raison ? Nous nous asseyons un moment face à la mer, dans un silence commun, contemplatifs, puis revenons sur nos pas en échangeant encore tant bien que mal. Nous nous quittons en promettant de revenir bientôt le visiter ; ce que feront dès le lendemain Seb et Manon avec un sac remplit de petits cadeaux (une paire de bottes pour travailler le jardin, quelques fruits, deux où trois bières qu’ils boivent ensemble…).
Quelques constructions en stand by
Le week end arrive où nous avions prévu de jouer au bar des Français. Le vent a prit pour habitude de se calmer le soir venu; nous pouvons charger tout le matériel de musique dans l’annexe (petit moment périlleux, il s’agit alors de ne pas prendre une mauvaise vague, car nous avons tout avec nous : enceintes, tables de mixage, instruments, micros…). Le bar est tout prêt de l’endroit où l’on accoste, heureusement. On s’installe. On commence à jouer. Les locaux arrivent au compte goutte et finalement remplissent largement la terrasse du petit bar. Les cap verdiens ont une riche culture musicale et apprécient particulièrement le reggae. Ça tombe bien, c’est ce que nous jouons. Et au moment où Seb entame sont set ragga et Hip hop, les plus jeunes s’enflamment. Ils se mettent à improviser quelques danses, empruntent le micro pour y chanter quelques improvisations en portugais ; la terrasse s’anime, s’embrase. La soirée se prolonge par quelques parties de billard et de babyfoot échangées avec les capes verdiens. Nous passons alors une très belle soirée pleine de chaleur et d’amitiés.
Nous peinons à nous en remettre le lendemain matin et essuyons une sévère migraine. Une belle surprise pourtant nous attend alors que nous prenons le café dans le cockpit. Un petit bateau approche, il nous contourne, puis nous interpelle. C’est le petit Armagnac jaune « Pousse rapière » que nous voyons débarquer. Nos amis Claire et Max, que nous avions laissé à la Gomera nous on rejoint avec une semaine de décalage. Nous passerons le reste de nos escales au Cap Vert ensemble et partirons de concert pour la transat. Nous quittons l’île de Do Sal à trois bateaux, afin de rejoindre Sao Nicolau, à 80 miles de là. Par vingt cinq nœuds de vent, avec une grosse houle de travers, nous naviguons voiles en ciseau, et parvenons à maintenir les trois bateaux à la même vitesse.
Premier succès pour une navigation en flotte. Nous dépassons le cap sud de l’île aux premières lueurs du jour, sous le vent et sommes alors confronté à un puissant effet venturi (accélération du vent dût aux reliefs de l’île). Des rafales à 50 nœuds nous tombent dessus des collines. Le mouillage que nous convoitons n’est plus qu’à 6 miles de nous, mais nous devons faire face aux effets de site qui nous tourmentent par des rafales musclés au près serré, suivit de calme plat qui laissent nos voiles branlantes. Nous rongeons nos nerfs à tirer ces bords jusqu’au mouillage. Seb et Manon, arrivés les premiers, nous indiquent à la VHF que la plage principale du mouillage n’est pas abritée des rafales et nous conseillent de nous mettre sur une crique plus à gauche. Nous mouillons alors aux pieds de superbes falaises, sur du sable, mais toujours exposé aux rafales qui fouettent le bateau presque à chaque minute.
De belles lueurs
L’Armagnac à mouillé entre nous et Mana, et semble jouir d’un micro climat ; en effet, sur une cinquantaine de mètres autour de lui, les rafales ne sévissent que rarement. Nous les rejoignons dans l’après midi, alors que le vent tend à baisser légèrement. Seb et Manon nous y rejoignent encore un peu plus tard. Nous passerons ici trois jours pendant lesquelles nous profitons de nombreuses plongées autour des bateaux, d’une rando pour une partie du groupe pendant que l’autre garde les bateaux, et de petits repas partagés autour des quelques poissons pêchés. Le petit village devant lequel nous sommes est plein de charme. Comme partout au Cap Vert, la population est extrêmement sympathique et accueillante.
Quelques gamins sur la plage
Après trois jours d’escale, nous décidons de quitter Sao Nicolau pour Sao Vicente pour une dernière escale avant la transat. Nous levons l’encre à 5h du matin, direction la capitale du Cap Vert, Mindelo, à une petite journée de navigation. Celle ci, au milieu des petites îles sauvages et inhabitées de l’archipel n’est pas des plus facile. Les premières heures sont éprouvantes nerveusement ; des rafales à 45 nœuds s’abattent sur le bateau, suivit de calme plat où les voiles fasèyent et claquent. Nous passons plus de deux heures ainsi, soumis aux même effets de site qu’à l’approche de l’île, avec des vents dont la direction change constamment.
Après cela, une fois que nous nous sommes bien éloigné de la baie, le vent est toujours fort mais régulier et nous filons au près serré à bonne allure, alors que Mana et Pousse Rapière sont déjà à bonne distance devant nous. Les poissons volants bondissent partout autour et vole sur des distances impressionnantes avant de ricocher sur la surface de l’eau. Une houle importante et cassante nous secoue, mais nous trouvons le moyen de cuisiner une bonne petite omelette aux légumes pour le midi. Max à ce goût pour la cuisine agitée. Mana a choisit pour option de longer les côtes des îles pour couper au plus court, mais s’y rapproche trop si bien qu’il doit s’en éloigner pour ne pas subir de trop la houle. Quelques manœuvres de voile délicate et voilà son génois traînant dans l’eau à moitié déchiré. Il restera ainsi jusque l’arrivée que nous ferons bord à bord.
Nous croisons la dernière pointe nord de l’île ensemble, puis longeons des falaises aussi somptueuses qu’inhospitalières de concert. Sur notre tribord l’île de Santo Antao, la plus à l’ouest de l’archipel, et sur bâbord, Sao Vicente. Au milieu, un canal qui comme un goulot d’étranglement canalise la houle et le courant en les amplifiant. A l’entrée de la splendide et immense baie de Mindelo, un rocher majestueux surmonté d’un phare. À son niveau la houle, très courte, se mue en déferlantes sauvages qui propulsent le bateau de 1 à 13 nœuds en un instant.
La baie de Mindelo
Autant dire que je suis concentré à la barre ; l’empannage serait périlleux et il n’est pas question de prendre le surf ne serait ce qu’un tout petit peu de travers. Heureusement tout ce passe au mieux pour les deux bateaux, et nous mouillons notre ancre à quelques brasses de Pousse Rapière, déjà arrivé depuis une bonne demie heure. Encore une fois, le couché de soleil nous émerveille, et l’apéro comme toujours bien mérité, nous assomme. Nous couchettes nous tendent les bras ; une bonne nuit nous attend.
Plage de galets à Mindelo
À Mindelo, nous passerons encore une petite semaine en attendant que les conditions se prêtent à la traversée. La capitale est des plus accueillante, et nous y passons de beaux moments. Un petit concert dans un bar, où Seb se verra partager le micro avec deux rastas locaux, dont un vieux de la vieille à la voix puissante. Moment magique. Nous retrouvons au port « Border Line », un petit bateau dont nous rencontré l’équipage en même temps que celui de Pousse Râpière, et plus revu depuis. Jérémy, Julien et Quentin sont partant pour traverser à nos côtés. Quatre petits bateaux sur la ligne de départ ; ça promet ! Le dernier jour, nous retrouvons également Didier et Elise, de « Neurone ». Nous avons plaisir à partager un dernier apéro avec eux, sachant que nos chemins ne se recroiserons pas tout de suite, (ils visent, eux, le Brésil). Les courses sont faites, le bateau est plein d’eau et de vivre ; nous sommes prêt. Le rendez vous est donné sur un petit mouillage au sud de l’île au petit matin afin d’y partager les dernières informations sur le point d’arrivé, etc. Le paysage est grandiose et nous remplit les yeux avant de passer trois semaines en mer. Nous le garderons en mémoire.