Quoi de plus lassant qu’un livre de bord ? Il ne constitue bien souvent qu’une suite pèle-mêle de coordonnées, de caps, de vitesses, de bulletins météo… Mais qu’est ce qu’un livre de bord sans ces données ? Notre premier défi, et non des moindres va donc être de rendre le plus digeste possible nos récits de route.
Le grand départ… enfin ! Etrange mélange de sentiments. En ce samedi matin, au port de Lorient, parents, amis, bien aimée, sont au rendez-vous pour saluer les trois marins. A la fois le cœur serré et plein d’enthousiasme nous larguons nos amarres en voyant s’éloigner lentement ces silhouettes familières. Après ces quatre années passées depuis la naissance du projet, à le préparer ; quatre années de travail, de sacrifice, de galère, de rencontre aussi, d’aventure déjà, et de bons moments surtout, voilà qu’on met les voiles pour de bon.
Une belle gîte
Première étape, la traversée du golf de Gascogne, puis la descente des côtes Portugaises jusque la ville de Peniche, au nord de Lisbonne. Les premières 24 heures, en dehors des prévisions météos, fût une bonne mise en jambe ; sept nœuds de moyenne sur toute la première journée dans une grosse houle courte et croisée, qui a eu raison de notre équipier, malade toute la nuit. Nous avons donc retrouvé les joies des quarts en binômes, sans pilote automatique (il décroche passé les 4 beauforts) et pas encore amariné. Cette première rude journée passée, la mer se calme et nous impose rapidement sa cadence, son mouvement… il n’est de repos plus efficace que ceux passés en mer ! Vingt minutes, une demi-heure parfois d’un sommeil profond, suffisent à nous requinquer. Bon, nos cernes restent bien tenaces, mais l’absence de stress est fortement appréciable et à défaut de nos corps, repose nos esprits.
Des pêches fructueuses agrémentent nos journées (une grosse aiguillette à la pointe de l’île de Groix, une bonite deux jours plus tard…) reste à tâtonner pour trouver le meilleur moyen de conservation ; pour l’instant le bain de gros sel nous laisse un goût amer, ou du moins vraiment salin. Les problèmes techniques nous assurent aussi de leur présence (que serait notre Walden sans eux ?) Nos deux batteries de services, achetées reconditionnées il y a trois ans, ont choisi d’attendre notre départ pour rendre l’âme ; donc des nuits passées sans pilote, sans lumière ni instruments de bord, uniquement les deux feux de navigation à l’avant du bateau. La journée nos panneaux solaires maintiennent à peu près la charge et nous permettent quelques heures de musique. Hormis cet aléa, un vent régulier nous fait bien avancer, et un beau soleil nous gratifie de sa tiédeur, toujours plus perceptible à mesure que nous descendons.
Voiles en ciseau
Ça charge, ça charge !
Cour de matelotage improvisé
Mardi 15 novembre, 44°43,13 N / 08°42,30 W
La bonne humeur est dans toutes les têtes. Les prises de quart à trois, ça refait un équipage ! Le Walden nous montre qu’il en veut, malgré l’eau qui se dérobe dans les fonds depuis la salle de bain. D’ailleurs on le soigne vite en écopant car la mer forçit maintenant et il faut qu’il soit dans une forme olympique ! Le vent nous demande de prendre un ris dans la grand voile, la mer se gonfle et le bateau prend de la gite. C’est à ce moment que Jb, munit de son jogging et d’une petite veste coupe vent s’amuse à surfer sur les crêtes jusque la nuit, jusqu’à être trempé par une vague plus haute que les autres. Une longue nuit nous attend !
En regardant ces deux fadas en train de se tirer des travers de plus en plus longs, sur le fil, je décide de me garder d’intervenir et me contente de les seconder en leur préparant cafés et petits plats. Pour l’instant, record tenu par Jb, flashé à 8,8 nœuds en parallèle du rail du cap Finistère. Les prises de quart s’enchainent et la fatigue se fait de plus en plus présente sur leurs têtes. Du coup rien de telle qu’une tartiflette pour redonner des forces à l’équipage. Il est 6 heures quand Jb, transformé en zombie après cette nuit de surf me réveille pour prendre la relève, maintenant que le vent tombe. Le cap Finistère est maintenant derrière nous, c’est partit pour un levé de soleil à la barre. Le bateau comme l’équipage maintenant ne bronche plus, Walden et les autres en ont dans le ventre mine de rien.
Après 7 jours de mer et de gros temps; un désordre contenu !
Le livre de bord avance, au grand air !
Le cap Finistère nous annonce la fin du golf
Jeudi 17 novembre 41°34,25 N / 09°12,06 W
Sous un calme plat, je laisse la barre à Jb pour la relève. Crevé et déphasé, je prends quelques photos de ce levé de soleil sous une brume qui s’estompe lentement. Après une sieste réparatrice, c’est une odeur de galettes de pain qui me réveille. Max avait préparé la pâte la veille et l’avait fait monter grâce à la bière, bien exposée sur le pont, au soleil. Savoureux mélange de farines complètes, épicées et fourrés de lardons, ou recouvert de compotes, confitures ou sauce tabasco ; un véritable succès pour un premier essai.
Après ce petit gueuleton, une bande de dauphins est venue jouer à la poupe de Walden. Magique moment que de les voir se contorsionner pour mieux nous observer, nous, tout émerveillés au dessus du balcon. Aujourd’hui, le temps est gris et frais, et seulement un filet de vent permet tout juste de garder les voiles gonflées. Nous avançons entre un et trois nœuds ; plus par la force du courant que par le vent. Le temps gris permet tout juste de recharger les batteries pour le soir, où les feux de navigations nous sont indispensables dans cette zone où les chaluts Portugais sont légion. L’un d’eux nous fonce d’ailleurs droit dessus, nous salue, et nous dépasse de très près par l’arrière. L’un des pêcheurs soudain nous fait signe ; il nous demande si nous voulons du poisson ; nous n’avons pas encore finit notre thon, mais notre hésitation leur fait faire demi tour et leur gros chalut est maintenant à 50 cm de notre poupe, la surplombant de sa masse d’acier pour nous tendre un sceau de Tacots que nous vidons pèle mêle dans le cockpit. Manœuvre arrière et les voilà repartis sous nos remerciements. Jb se colle à la tâche et nous lève quelques filets de Tacots, patiemment, pendant que Max émince des petits légumes. Un bon repas avant la nuit, longue, qui approche.
Après cinq jours en mer, le rythme n’a plus rien à voir avec celui sur terre ; on mange dès qu’on a faim (une omelette-lentilles au levé du jour n’a rien d’étrange ici) il n’y a plus d’heure pour l’apéro, les petits déjeuners peuvent être pris en milieu d’après midi… Les journées se passent plutôt tranquillement afin d’être reposé pour les nuits de quarts.
Réveillé deux fois pour des changements de voile, je ne regrette pas cette interruption de mon sommeil, maintenant j’entends le bateau filer sur une eau sans houle, comme sur un rail, presque sans bruit. Pour la première fois véritablement depuis notre départ, le crachin est avec nous ; pas vraiment dérangeant, il nous rappelle notre Bretagne déjà loin.
Notre pêche du troisième jour
Nos compagnons, fidèles et toujours aussi mystérieux
Joueurs à notre tableau arrière, ils se tournent de côté pour mieux nous observer
Les dernières 24h avant notre arrivée à Peniche, nous étions porté par une houle longue, d’au moins quatre mètres. L’océan, gonflé et paisible nous rappelle comme nous sommes petits et fragiles, mais il a quelque chose de rassurant dans sa toute puissance. Il est là, imperturbable et éternel. Nous ne songeons plus a rien, seulement à lui obéir ; à l’écouter, écouter ses mises en garde et profiter des moments de sursis qu’il nous laisse entre ses colères. Les derniers quarts se font plus courts. Nous sommes impatients d’amarrer le bateau et de poser pied à terre et, plus que tout, de prendre une douche. Entrée au port de Peniche à 7h30. Un digestif bien mérité, en relâchant la pression, avant de retrouver les bras de Morphée pour un sommeil plus long et moins mouvementé qu’à l’habitude.