Débarqué en Dominique pour un peu moins d’une quinzaine de jours, je me suis donné deux objectifs :
- traverser une partie de l’île à pied, et passer du temps en plein cœur de la jungle ;
- rencontrer les Kalinagos, descendants des premiers habitants des îles Antillaises.
Entretien avec Mabrika et Miranda
Miranda et Mabrika
Antenne relais, près du jardin de Koil
L’alcoolisme est un problème important chez les Kalinagos. Le bouleversement social provoqué par le modèle occidental, le manque d’emploi et d’occupation poussent de nombreuses personnes à boire.
Mabrika « L’enseignement supérieur est pire encore pour notre culture. Le chef du Parlement kalinago se réjouit que beaucoup de nos enfants partent à l’étranger pour apprendre dans les grandes écoles, et que la plupart en reviennent diplômés. Ce qui pour lui est une fierté, m’attriste moi. Ces jeunes, soit restent vivre et travailler à l’étranger, et dans ce cas rompent totalement avec nos traditions ; soit reviennent au pays pleins d’une certaine fierté d’être diplômés, mais ne trouvent aucun emploi ici en lien avec l’enseignement occidental qu’ils ont reçu. Dans tous les cas, cela ne fait qu’accroître le déracinement de ces jeunes. Cela serait positif si enfants, ils avaient reçu des bases culturelles solides. Mais comme ce n’est pas le cas, leurs savoirs n’apportent rien à notre communauté. »
Enfants Kalinagos, en uniforme depuis leurs cours de récréation
Mabrika a dans l’idée de proposer aux écoles un livre qui enseignerait l’histoire Kalinago en plus de l’histoire Européenne que les enfants retiennent sans en comprendre le moindre sens. Ce livre apprendrait aux jeunes d’où ils viennent, qui ils sont, et l’importance de préserver leurs savoirs culturels. Mais à chaque fois qu’il proposa ce projet, quelque chose venaient le faire avorter ; problème budgétaire, manque de temps, lourdeur administrative, etc.
Femme Kalliponam réalisant des paniers en Vannerie
Sculpture Kalinago
Mabrika « Juste après l’indépendance, en 1978, Miranda a créé un groupe de danse traditionnelle. »
Miranda, à droite, et son groupe de danse
Quelques camps de vacances sont également organisés pour les plus jeunes, avec des ateliers ludiques pour réapprendre les gestes des anciens.
L’importance d’une langue retrouvée
Miranda et Mabrika ont en leur possession un document d’une importance considérable. Devant nous, étalé sur la table, ils nous présentent un cahier de photocopies. Celles-ci sont tirées d’un carnet du XVIIIe siècle, retrouvé il y a peu. Son auteur, un anthropologue anglais qui s’est d’abord intéressé au Suriname, puis à la préservation des cultures Amérindiennes des Caraïbes, nous livre ici un recueil très complet du vocabulaire Kalinago. Certaines pages contiennent une traduction anglaise et française, d’autres seulement française. Cette liste de vocabulaire n’est pas la seule ; il existe de nombreux documents écrits faisant l’inventaire du vocabulaire Kalinago, mais celui-ci semble être le plus complet. Mabrika et Fatou travailleront ensemble pour la traduction des feuillets Français-Kalinago en Anglais. Même si cette langue ne sera sans doute jamais plus parlée couramment, il est important de reconstituer ce trésor culturel.
Etant originaire de Bretagne, je ne peux m’empêcher de faire le parallèle avec notre propre identité culturelle. Il y a moins d’un siècle, dans les écoles bretonnes les enfants se faisaient taper sur les doigts quand ils parlaient leur langue. Le Français était de mise, dans le but de créer une uniformisation culturelle. Mes grands-parents ont connu cette époque et n’ont pas enseigné le breton à mes parents. Aujourd’hui, des écoles se sont ouvertes où les enfants réapprennent le breton. Mes neveux en font partie. Comme quoi rien n’est perdu !
Rappel historique : les Kalinagos
Escalier “tête de chien” ; site inspirant l’une des légendes fondatrices de la cultures Kalinago
Originaires du nord du Venezuela, les Kalinagos, Caraïbes ou Karibs sont des populations Amérindiennes ayant migré vers les îles des Caraïbes aux alentours du IXe siècle. Leurs origines sur le continent remontent vraisemblablement aux environs de 12 à 15 000 ans avant notre ère, mais c’est vers 7 000 ans avant J-C que ces peuples de chasseurs-cueilleurs ont commencé à migrer vers le nord par l’arc Antillais. Les premières populations à coloniser l’arc Antillais sont les Arawaks. Les Karibs à leur tour, migreront d’île en île en supplantant la population Arawak par la force ou l’acculturation. Le nom de « Caraïbe », internationalement admis, est né d’une mauvaise interprétation des premiers missionnaires ; (le mot « Caribe » signifiait semble-t-il « homme courageux ») c’est pourquoi ce peuple lui préfère l’appellation Kalinagos, plus proche de leur appellation d’origine. La Dominique, ou Wai`tukubuli, rassemble la plus importante population Kalinago actuelle ; mais plusieurs groupes Kalinagos se trouvent encore sur l’île de Saint-Vincent, de Trinidad, mais aussi sur le continent ; Venezuela, Colombie, Brésil, Guyane, Suriname…
Le Molinae : habitat traditionnel
La Dominique est, sur une échelle géologique, une île jeune. Tout l’arc Antillais est en perpétuel mouvement. Dans quelques millions d’années, la mer Caraïbe ne sera sans doute plus qu’un grand lac intérieur ; c’est pourquoi les tremblements de terre sont fréquents. Les Kalinagos se sont adaptés de manière remarquable à cet espace mouvant. La règle d’or lorsque l’on construit sur une surface relativement mouvante, c’est de laisser de la souplesse à la structure. Aujourd’hui il ne reste quasiment plus d’habitat traditionnel sur l’île. Quelques bâtiments utilisent des techniques anciennes, mais le béton et les taules d’acier finissent par remplacer les anciens matériaux. Ces nouveaux habitats en béton armé et en taules fissurent rapidement, s’effritent ; et surtout, n’ont aucun pouvoir isolant contre la chaleur Caribéenne. C’est pourquoi « Papillon », en s’installant en Dominique, a décidé de construire sa maison de manière traditionnelle. Apres mûre réflexion, il s’avère que ce type de construction est celui qui s’accorde le mieux à l’environnement.
Fumerolles dues à l’activité volcanique (Boeling Lake)
L’inspiration : le Molina et le Carbet
Les deux types de constructions Kalinagos sont le Molina et le Carbet. Le Carbet est un grand bâtiment rectangulaire, souvent placé au centre du village, qui servait pour les fêtes, les célébrations, les rituels, etc. C’est avant tout un espace collectif, destiné principalement aux hommes, et qui pouvait atteindre plusieurs dizaines de mètres de long. Le Molinae, de taille plus petite, est l’habitat familial. De forme carrée, il se construit autour d’un pilier central. C’est sur les plans de ce bâtiment que Papillon construira sa maison.
Comme ci- dessus, le Carbet de Saint Cyr
Ici un Molinae, de taille plus petite et de forme carrée ; à Saint Cyr également
Pour que ce projet soit réaliste, Papillon choisit de le réaliser en partenariat avec quelques amis Kalinagos. Coïe et Régina, personnages influents du village de Saint Cyr ; ils ont déjà monté plusieurs projets dans le but de faire perdurer leur héritage culturel ; il y a quelques années, ils ont construit de manière traditionnelle deux pirogues, avec lesquelles ils ont fait la traversée jusqu’en Guadeloupe à la seule force des rames, comme leurs ancêtres.
Peinture murale représentant la confection d’une pirogue ; les cailloux à l’intérieur servaient à évaser le centre du tronc de Gommier pour lui donner sa forme
Koïl a également construit le seul Carbet et le seul Molina qu’il reste à Saint Cyr, (photos ci dessus). Sur les terres de sa femme Régina, il cultive de manière totalement bio un jardin luxuriant. Parmi tous les fruits et légumes, il fait pousser quelques touffes de Vétiver ; une sorte de Carex dont les Kalinagos utilisent la paille pour couvrir leur habitat. Ce chaume, une fois séché et comprimé est totalement imperméable et procure une isolation thermique de qualité.
Séchage du Vetiver au dessus du jardin de Coie
Ensuite il y a Baptiste ; c’est le frère de Mabrika. Il possède un arpent de forêt dont il exploite le bois. Maniant la tronçonneuse comme personne, il débite dans le Bois rivière des planches de dimensions quasi industrielles. Ces planches servent pour les cloisons extérieures et intérieures.
Cabane au milieu de la forêt de Baptiste
Préparation du repas, quelques Dashi, des crabes de rivière… sur un brasier dit Hélicoptère ; typique des Kalinagos
Chaque planche devra être transportée hors de la forêt à dos d’homme, à travers rivières et chemins escarpés. Compte tenu du poids de ce bois dense, il est facile d’imaginer qu’une fois ces planches à destination, chaque centimètre carré doit être utilisé de manière optimale.
Planches lors du passage de la première rivière
Papillon portant une planche
Vidéo: franchissement de rivière
Pour limiter l’humidité à l’intérieur des maisons et s’adapter aux dénivellations omniprésentes, les constructions se font sur pilotis. Cela est sensé limiter également l’intrusion d’insectes tels que les thermites, fourmis, blattes… Papillon choisit de construire en contrebas du terrain de Sian, afin surtout de limiter l’exposition aux vents dominants, mais aussi pour intégrer au mieux le bâtiment à son espace.
Maison de Papillon, depuis l’intérieur
La forme du bâtiment est octogonale, et légèrement excentrée vers l’Est à la manière des constructions de Vauban, afin d’avoir une résistance au vent minimale. Bien que de dimension supérieure, le bâtiment se calque sur la structure traditionnelle du Molinae. Des troncs sont plantés en terre sur environ un mètre de profondeur, puis sont coupés de niveau. Un plancher lie l’ensemble. Puis un pilier central reçoit la charpente qui se répartit de manière octogonale sur le pourtour.
Couverture de Vetiver en cours, une bâche sert de couverture provisoire
Le bâtiment est imaginé dans le sens où chaque matériau est éphémère, et ainsi doit pouvoir être remplacé. Chaque poteau de la structure en pilotis peut être changé si besoin.
Charpente qui reçoit le Chaume
La maison de Papillon, plus qu’un simple habitat, est symbolique. Le terrain de Sian se trouve dans les hauteurs du village de Castel Bruce, à la limite extérieure du territoire Kalinago. En construisant un bâtiment traditionnel Kalinago en dehors de leur territoire, Papillon entend étendre symboliquement celui-ci. Il a également espoir de convaincre et les Kalinagos, et les occidentaux nouvellement installés sur l’île de l’intérêt de revenir à ces constructions traditionnelles.
Miranda, moi et Mabrika
Ces deux semaines passées en territoire Kalinago ont été pour moi des moments magiques, riches en rencontres et en découvertes. Ils m’auront également conforté dans l’idée qu’il y a encore de nombreuses personnes de par le monde à se mobiliser corps et âme pour sauvegarder la richesse et la beauté du paradis dans lequel nous vivons. Je remercie ces personnes pour l’espoir qu’ils nous donnent et pour l’amitié qu’ils m’ont offert.
Merci pour ce partage d’informations et d’expérience.