Voilà, nous nous éloignons tranquillement des côtes Canariennes. Le mont Teide nous salut ; imposant et majestueux. Nous goûtons de nouveau au plaisir d’être bercé par l’océan. Une page se tourne, bien d’autres attendent de s’ouvrir. Il y avait aux Canaries une atmosphère étrange, une énergie particulière et difficilement explicable. D’ailleurs celle ci nous y retenait en quelques sortes, et nous nous sommes fait violence pour larguer les amarres avant de s’y enraciner. Nous laissons derrière nous de nombreux amis, qui ne tarderons pas à leur tour à prendre la mer en direction du sud. Des rencontres comme on en fait que dans les ports, de personnages atypiques, rares et authentiques.
Il y a d’abord l’équipage de « Neurone » : Didier et sa fille Elise, qui du haut de ses sept ans, balade son sourire de pontons en pontons, juchée sur sa trottinette rose. Gamine débrouillarde, un brin princesse, un brin pirate ; elle eut tôt fait de prendre ses petites habitudes sur nos bateaux et chacun avait plaisir à la prendre sous son aile. Le soir, elle nous accompagne jouer dans la rue et secoue un œuf musical avec un sens du rythme remarquable. Et puis Didier : chevelure ébouriffée et regard perçant, nous rejoignait alors ; sur sa trottinette aussi. Il a cette nonchalance propre aux gens qui en ont vue assez pour rester stoïque en toutes circonstances. Il partage un petit moment avec nous, puis ramène Elise à leur bateau afin qu’elle nous revienne en pleine forme le lendemain. Personnage passionnant ce Didier ; emplit d’une certaine bienveillance envers les gens qu’il cerne vrai et sincères, et riche en conseils après avoir déjà réalisé un tour du monde à bord de son bateau, entièrement construit de ses mains. Écrivain à ses heures, l’histoire de sa vie tumultueuse et de ses rencontres a bonne chance d’être publiée d’ici peu sous le titre de « Neurone et le Rasta sans dread ». Peut être partagerons nous avec lui le projet de réaliser un livre audio à partir de ses écrits.
Nos voisins de pontons sont un couple de Bourguignons, Bretons de cœur, qui ont le projet de traverser l’Atlantique sur un « Armagnac » (voilier de huit mètres environ, réputé très marins et ayant déjà un passif d’un demi siècle de régates). Bateau léger et à première vue pas construit pour un programme de voyage au long cour, l’amener au plus loin des océans est déjà un défi en soit. Nous quittons Claire et Max, ses propriétaires, en espérant les retrouver très vite au Cap Vert, ou peut être même de l’autre côté. On s’aperçoit de plus en plus que le monde n’est pas si grand que ça en fin de compte !
La fine équipe
La Gomera est l’île des Canaries que nous avons le plus visitée et, pour ma part en tout cas, la plus appréciée. Au centre de l’île, le cratère abrite une forêt relativement dense, qui se détache des pourtours arides. D’énormes rocs sortent par ci par là de cette masse verdoyante et contrastent de leurs ocres lumineux. Les quelques villages de l’île sont plein de charme ; les maisons colorées, les commerces accueillants… le temps ici passe à une vitesse folle ! Au réveil, nous croisons les voisins de pontons, avec qui on boit un café, on discute bateau, aménagement, techniques, etc. ; on donne un coup de main de ci de là à la préparation des bateaux et déjà il est temps de préparer le repas du midi, que nous partageons la plupart du temps avec les équipages de « Mana » et de « Pousse Rapière ». Une grosse vaisselle, quelques courses, nous allons jouer un peu dans la rue pour gagner quelques euros à dépenser dans quelques bières ou un bout de pizza et déjà il est l’heure de penser au repas du soir.
L’avitaillement du bateau en vue de la transat, la confection des filets à fruits et légumes, le reprisage des voiles… occupent une bonne partie de nos journées, quant ce ne sont pas les excursions ou les randonnées. La végétation ici nous semble déjà bien exotique : les ficus que nous avions l’habitude de retrouver dans la salle d’attente de notre médecin, ici sont des arbres aux dimensions monumentales. Cactus, agaves, aloe vera, palmiers, avocatiers, manguiers, orangers… nous entourent. Nous sommes surpris de trouver au cœur de l’île, au milieu de la forêt, un châtaignier, bien qu’un peu chétif, tant la végétation diffère de celle que nous connaissons. Une source jaillit comme miraculeusement du centre de l’île, laissant serpenter une petite rivière (la seule des Canaries), qui donne à cette forêt des aires d’Huelgoat. Et oui, deux mois de soleil et la Bretagne nous manque déjà que nous lui comparons tout ce que nous voyons. Bref, tu causes, tu causes, c’est tout ce que tu sais faire ! Comme dirait Laverdure dans « Zazie dans l’métro ».
Notre départ donc repoussé de quelques jours, nous nous décidons enfin à décoller, pressés aussi par la jeune Hongroise que nous avons accepté d’embarquer jusqu’au Cap Vert (et qui déchanta bien vite de son empressement quant un mal de mer tenace la tiendra durant toute la navigation). Là, au matin décidé pour notre départ, nous avons la grande surprise de voir accouplé à nos bateaux, celui de Juan, l’ami espagnol que nous avions laissé à Lanzarote quelques semaines plutôt. Nous reculerons encore d’un jour notre départ afin de profiter d’un moment de plus avec lui. Qu’il est bon de se retrouver avec certaines personnes ; le temps glisse alors !
Départ de la Gomera pour le Cap Vert
Le jeudi, après une veillée bien arrosée, enfin le départ pour le Cap Vert. Mana se désamarre, nous le suivons salués par Claire et Max (de l’Armagnac). Nous hissons les voiles et déjà Mana semble peiner à ne pas nous distancer. Notre Walden est un peu lourd avec toutes ces provisions et il lui faut plus qu’une bonne brise pour s’élancer. Fanni, notre jeune Hongroise, quitte bien vite son état euphorique du départ pour adopter un état qui ne la quittera plus alors, celui de la nausée. Cette première expérience à quatre nous refroidit quelque peu de notre envie de transater avec une personne de plus. Finalement nous nous complaisons plutôt dans l’anachorèse que dans la communauté et notre trio à tout juste trouvé son équilibre à bord. Chacun de nous a su trouver sa place, ses rôles, et il est difficile de vivre huit jours avec une personne qui peine à s’adapter à la vie à bord et qui ne fait pas réellement d’effort en ce sens. Nous prenons surtout conscience que la vie en mer est somme toute assez rude et sans doute pas faite pour tout un chacun. Fanni dormira vingt heures sur vingt quatre, ne fera ni vaisselle, ni repas, tout en ayant ses exigences. Elle aura tout de même pu profiter d’une baignade au large, lors d’une journée sans vent, et assurée par les deux maîtres nageurs du bord, ainsi que de la visite d’un banc de dauphins plutôt curieux.
Pour notre part, cette navigation fût la plus belle de toutes celles vécus précédemment. Nous n’avons eu qu’à barrer deux jours seulement sur les huit passés en mer ; le reste du temps, le pilote automatique assurait son rôle. Nous avons gardé un ciseau quasi permanent (la grand voile d’un côté, la voile avant de l’autre) ce qui assurait au bateau une grande stabilité et soulageait la barre et le pilote. Avec cette configuration, le bateau filait à six, sept, parfois huit nœuds, sans aucun effort. Une navigation à la fois rapide et reposante, malgré un bon roulis dût à la houle de travers (mais bon, il serait capricieux de réclamer plus encore). Pour ce qui est de la navigation en flotte, cette fois-ci encore elle se solde par un échec.
Au deuxième jour, nous perdons Mana de vue, puis de contact radio. En effet, l’absence totale de vent ne nous permettait pas de gonfler les voiles et le courant emportait la carène de Mana (plus légère que la nôtre), plus rapidement que Walden. Nous espérons parvenir à garder la flotte grouper un peu plus longtemps pour la transat.
Au huitième jour, les côtes Cap Verdiennes se dessinent à l’horizon. Quelques massifs émergent d’abord, puis toute l’île de Sal, que nous longeons jusqu’au mouillage de la Palmiera. À moins d’un mille des côtes, un Espadons de bien deux mètres cinquante nous avale d’un coup tout le fil de notre canne, puis se débat, furieux, à une centaine de mètres de notre bateau. Encore un leur de perdu, encore du nylon dans l’océan. Triste constat. Nous avions pourtant monter un tout petit leur dans le but de ne pas attirer de trop gros poissons. Celui-ci devait être curieux…
Le désert de Do Sal
L’île de Sal semble d’une aridité sans pareil. Il semble étonnant de pouvoir y vivre. Pourtant il y a bien une petite ville au centre, et une baie aménagée en mouillage à l’ouest. Nous approchons par vingt cinq, trente nœud. Essayons de démarrer le moteur, mais celui ci c’est de nouveau désamorcé à la gîte et ne veux pas se lancer. Qu’a cela ne tienne ; une fois de plus, nous rentrerons à la voile. La baie est pleine de bateaux, tous plus proche les uns des autres. Nous devons slalomer entre eux, au près serré, pour attendre un petit troue, juste devant Mana. Et nous lançons l’ancre exactement à l’endroit voulu. Les voiles s’affalent, la pression retombe. Le soleil rougit, puis se couche dans cet instant. Seb et Manon nous rejoignent à bord de leur annexe, une bouteille de rhum en main. Nous sommes arrivé au Cap Vert !